L’anglais décrit dans le chateau fermé – A.P. de Mandiargues – Chapitre II

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Chapitre II: Viol a

Tout d’abord, il me faut dire que le mot de  »château », qu’à son adresse avaient employé les paysans rares auprès de qui, sur la lande, je m’étais informé du chemin, correspondait très mal à la nature véritable de ce lieu. Gamehuche n’était en réalité qu’un vieux fort (qui souvent avait dû servir de prison), certainement antérieur à l’époque de Vauban, désaffecté probablement à la fin des guerres de l’Empire. Jusqu’à quel point avait-il été transformé dans la dernière période, je ne sais.
La matière dont il était construit, un granit bleu-noir beaucoup trop dur pour se prêter à ces faiblesses de la pierre que sont la patine et l’érosion, lui donnait l’aspect du neuf, si bien qu’il était pratiquement impossible de distinguer ce qui appartenait encore à la construction originale des restaurations capricieuses que lui avaient imposées ses nouveaux propriétaires.

Frappait surtout, à première vue, le dessin de l’ensemble, par la géométrie singulière autant que rigoureuse à laquelle il obéissait. Gamehuche de l’extérieur, se présentait comme une énorme tour basse, absolument dépourvue de fenêtres ; mais ce qu’on voyait là, que ce fût de la plage ou d’un bateau sur la mer, n’était jamais que le mur d’enceinte, parfaitement rond, lisse et partout égal à lui même. N’était le site, on eût pensé aux dehors d’une arène ; mais à quels bestiaux combats destinée – et quel peuple l’aurait pu remplir – sous ces brumes ou bien ces rafales de vent de mer, en cette solitude de rochers nus battus des vagues ?

A l’intérieur du cercle défensif se dressaient contre le mur un donjon, d’un ovale un peu allongé, et six tours plus petites, deux desquelles, tangentes au donjon, formaient avec lui le principal corps d’habitation, tandis que deux autres se trouvaient aux extrémités du diamètre parallèle à l’axe de ces bâtiments, et que les deux dernières flanquaient la porte d’entrée.
Une fenêtre unique au premier étage de ces deux-là, étroite, grillée de surcroît, les distinguait du reste de la construction intérieure où de grandes baies diaphanes, qui couvraient presque toute la surface disponible, ne laissaient à la pierre que la mince fonction de servir de cadre à la vitre. Les toits de tout cet édifice étant plats, contrairement au style du pays, et soudés, pour faire terrasse avec le chemin de ronde, rien ne passait au-dessus du parapet qu’en buste les habitants du château, quand un jour de soleil, ou quelque moins banale occasion, les y avait attirés.

Tu as du bagage ? Il faudrait le porter à la tour d’ami.

Le nègre se rappelait à mon attention, vexé, peut être, qu’elle se perdit aux nuages que bousculait le vent et au bruit des lames rompues qui déferlaient sur les blocs, en bas du rempart. Je tirai du coffre deux valises, pour les lui donner, mais il n’en prit qu’une, et je ne fis pas de façons à prendre la seconde, cette égalité de maître a serviteur, qu’avec une certaine arrogance dans la voix et dans le geste on m’imposait, n’étant pas, mais au contraire, pour me fâcher. Car elle soulignait le fait qu’en franchissant le seuil de Gamehuche j’étais entré dans un monde excentrique et clos, qui avait d’autres lois et d’autres coutumes que celui d’où je venais. Elle apportait aussi, et sans trop tarder je devais les connaître, de succulents avantages.

J’allais donc suivre celui qu’en dedans de moi-même je nommais déjà  »mon frère noir », quand bâilla la porte de l’une des tours médianes (celle de droite, précisément, par rapport à la porte cochère), produisant une apparition qui m’enchanta.
C’était une mulâtresse très jeune ( je sus, plus tard, qu’elle venait d’avoir dix-sept ans ), délicieusement chatte ou guenon, par son visage un peu plus petit que le naturel selon les proportions de son corps. Le nez un peu trop court, la bouche un peu trop grande, elle ouvrait très grands aussi des yeux roux dans la peau la plus lisse et fraîche qui se pût rencontrer ; ses cheveux, plus bouclés que crépus, retombaient d’un seul côté sur l’arrondi d’une belle épaule. Vêtue d’une sorte de peignoir en satin corail bordé de cygne feu – ledit peignoir d’allure assez Louis XVI, avec ses manches larges et son échancrure à cacher le moins possible de gorge – elle avait aux pieds de minuscules souliers mauves sur des chaussettes blanches brodées de baguettes rouges.

Monsieur l’ami de Montorgueil, bonjour, me dit-elle. Moi c’est Viola.
Bonjour, dis-je, madame Viola.

Elle se mit à rire avec les grâces d’une bête qui mordille, et puis :

Appelle-moi Viola tout court. Je t’appellerai Balthazar. C’est un nom que j’aime bien ; je l’ai donné à tous les hommes que j’ai aimés dans ma vie. Ils étaient comme mes frères.
Surpris de cet écho à mes pensées inexprimées, point mécontent de tel incognito prometteur, je m’inclinai. Pourtant, je voulus questionner encore :

Et Montorgueil, l’appelles-tu aussi Balthazar ?

Montorgueil est Montorgueil, me fut-il répondu avec une vivacité qui me découvrit de la gorge ces riens que je n’avais pas encore vus ; les Balthazars sont les Balthazars. Il y a des manières pour le loup et des manières pour les moutons. Ne pense pas trop à ces choses, mon bon frère balthazar, et viens plutôt à la tour d’ami. Je vais t’y mettre à ton aise.

Elle avait pris mon bras sous le sien et, ce faisant, elle agaçait doucement de ma main à travers l’étoffe la pointe de son téton ; plus pointu en vérité, que je n’eusse cru possible à téton de l’être, car je n’avais empaumé, avant cette fois, que des seins de femmes blanches. Ainsi bien occupés, nous traversâmes la cour en nous dirigeant vers l’autre des tours médianes, où le nègre, d’ailleurs, nous avait précédé avec ma valise. La porte, étroite pour deux, me sépara fort à regret de la jolie Viola, mais en la poussant poliment devant moi je constatait qu’elle avait le cul non moins développé ni ferme que le buste. Quelques marches et deux grands pans de tentures à soulever nous donnèrent accès dans une pièce ronde, qui était la salle de bains, tout à fait superbement.
Vasque plutôt que baignoire, un bassin à fleur de pavement occupait le centre de cette pièce-là ; le centre du bassin, à son tour, était marqué à fleur d’eau par un très gros galet dont la forme, pour rappeler les armes parlantes (dirai-je l’écu ?) du seigneur de Gamehuche, ne manquait pas de surprendre un visiteur non averti ( mieux: c’était quoique modelé probablement par les vagues, absolument ainsi que les fesses d’une colossale Vénus des cavernes). Deux trous que l’on avait percés où il fallait, dans ce caillou, laissaient à volonté sourdre l’eau chaude et l’eau froide ; et l’on perdait pied si l’on avait caprice de faire à la nage un tour de galet près du trou qui pissait froid, tandis que vers la source chaude le fond sensiblement se relevait.

La première tenture était de gaze bleue ; la seconde, intérieure, de robuste tissu huilé, d’un rouge brun, dont il se fait des suroîts et des bâches pour les canots. Celle-ci couvrait tout le plafond, d’où elle retombait jusqu’au sol derrière trois bancs de liège brut, et s’écartait devant les vitres voilées seulement de l’autre, plus légère, qui donnait à la pièce un éclairage assez comparable au jour bleuâtre que l’on a pu voir en quelque grotte marine. Derrière ce double rideau, un escalier tournant, fixé au mur, conduisait à la chambre du premier étage.

Là haut, quand nous fûmes arrivés, sans nous être attardés dans la salle de bains plus que le temps d’y jeter un petit coup d’œil, et d’admirer, nous vîmes le nègre couché paisiblement sur le lit.
Gracchus, dit Viola, laisse nous. L’ami Balthazar a besoin de se reposer.
Çava bien, dit l’autre, j’ai compris. Il n’a pas mis longtemps à devenir un Balthazar aussi , celui-là.
Et levé non sans un ou deux grognements encore, il disparut par l’ouverture du plancher. La mulâtresse rabattit une trappe. Nous fûmes seuls.

La chambre, beaucoup plus haute que la salle de bains, était aussi plus étendue, puisque l’on avait pas eu besoin d’y faire place à l’escalier ni à cette sorte de couloir entre le mur et le rideau imperméable. Du plafond descendaient deux flots de mousseline, blanche à l’intérieur, rouge clair à l’extérieur, appliqués contre la paroi par un système étoilé de vergues à mi-hauteur d’un mât de sapin naturel, lequel portait son gracieux toit de gaze ainsi que le dais d’un petit sérail ambulant. Comme dans la pièce du bas, mais sous un meilleur éclairage, une baie vitrée laissait largement entrer le jour, que le double écran rouge et blanc teintait d’aurore ainsi qu’aux reflets d’une chair allumée par des coups de fouet. Le mât se trouvais planté au centre d’un très grand lit tout rond (où, les têtes sur des oreillers autour de la tige, les jambes divergentes, facilement eussent dormi huit personnes, et dix ou douze en cas de besoin) ; ce lit couvert de peaux à longs poils, de chèvres sans doute, teintes en rouge vif, en violet, en rose. D’autres peaux, mais de moutons et à laine courte, qui variaient seulement du rose éteint au jaune paille, servaient de tapis entre le lit et un divan circulaire qui faisait le tour de la pièce – sauf à l’endroit où débouchait l’escalier. Les peaux, de chèvres, comme sur le lit, qui chargeaient le divan, allaient d’un brun presque noir à l’ocre et à ce beige presque blanc qui est précisément la couleur isabelle. Planait sur le tout, mêlé à l’odeur fortement musquée des toisons, un parfum lourd et gras, tel qu’aux souks en Orient.

Après avoir dans l’ordre du divan dérangé quelques couvertures, Viola releva un segment de banquette, qui servait de couvercle a un coffre profond où furent englouties mes valises. Puis elle disposa des coussins pour m’asseoir sur le lit très commodément, s’agenouilla devant moi, défit les nœuds de mes souliers et ôta mes chaussettes. Approchant mes pieds de son visage, elle les frôlait de ses cils, passait sur la plante et entre les orteils une petite langue bien musclée…

(à suivre)

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