L’anglais décrit dans le château fermé. – A.P. de Mandiargue – Chapitre V

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L’anglais décrit dans le château fermé.

Chapitre V : sustentations

Car la négresse et la mulâtresse m’avaient placé entre elles, d’autorité. Montorgueil, sur le voisin canapé, siégeait entre Luna et la petite Michelette. Le nègre Gracchus et le nègre Publicola encadraient Edmonde, mais ces trois-là sans cesse allaient et venaient de la salle à manger à la cuisine pour fournir au repas, et leur canapé se trouvait complet rarement.

D’abord, en guise de potage, nous eûmes un grand plat de laitances glacées sous Priape : je veux dire que dans le bassin d’argent elles étaient saupoudrées de piment rouge, de gingembre râpé, de safran, de sucre farine et d’un inconnue poudre bleue qui peignaient à leur surface des irisations fantastiques, et qu’au-dessus de ce tremblant arc-en-ciel on avait dressé un gros vit sculpté dans la glace, avec d’énormes couilles sur lesquelles il était braqué presque à la verticale, comme un canon anti-aérien sur son affût de campagne. Tel monument étant sorti des doigts d’Edmonde, on la félicita ; et puis les félicitations tournèrent à la bagarre sur le bon avis (donné par Luna) que l’enfant devait sodomiser sa mère, et qu’il fallait bouter le chef-d’œuvre dans le cul de l’artiste en l’y maintenant jusqu’à fusion totale. L’idée plaisait assez à la compagnie, cependant, puisque l’on avait besoin de la cuisinière et que les mets suivants, sans elle, auraient risqué de brûler, Montorgueil ordonna le sursis, et que l’on mît dans le réfrigérateur jusqu’à la fin du repas la grosse pine pour lui conserver ses dimensions majestueuses. Ce qui fut fait.

Affamé par mon voyage, ou peut être par le galant intermède, j’avais repris trois fois des laitances. Viola au contraire, faisait la petite bouche, ce qui ne lui allait pas mal.
C’est bon, dis-je. Tu n’aimes pas cela ?
Bah ! Du foutre de poisson, et froid, je laisse à Edmonde, qui est une mijaurée. C’est de foutre d’homme que je suis goinfre, moi ! Tu me donneras encore du tien, n’est ce pas, mon cher Balthazar ?
Je l’assurai que je l’en priverais pas, à d’autres heures, et j’écartai doucement sa main qui me touchait en voyou.

—     Chère suceuse, — s’écria Montorgueil, que la boisson avait un peu échauffé — fellatrice adorable, charmante petite bouffe-queue, tu ne manqueras jamais de foutre. Je te donnerai   des   hommes  à   traire   autant  que  tu voudras,  quand  ta  soif devrait  vider  les couilles de tous les mâles du canton, rendre stérile tout  le  pays,  dessécher toutes  les putains et toutes les épouses de la province…
Mais il me semble que voilà une odeur qui ne m’est pas inconnue. Ah, c’est de notre mets favori : des béatilles de merde à la Parisienne. Prenez vos verres, et que les remplisse un très vieux château-châlons, ce vin tellement délectable  qu’on ne  saurait le boire avec aucune autre espèce de nourriture. Je ne mange jamais de merde que d’abord je n’aie porté un toast à la France. Vive la France !
Il but et nous bûmes aussi.

Les Français sont des voleurs qui ont pillé partout les inventions des autres, protesta Luna. Manger de la merde est allemand. On en servait , avant la guerre, dans tous les bons restaurants de Berlin. De la merde d’oiseau, et precisement des tartines de merde de bécasse, j’accorde qu’il s’en trouvait à la carte de certains wein restaurants, mais c’est chose aussi française que la Béchamel, Mme de Sévigné, la Légion d’honneur ou le Concert Mayol qu’un beau plat de merde humaine. Je le dis sans parti pris, moi qui suis Anglais et dont les compatriotes préfèrent à tout les cancrelats grillés. Quant à la merde de négresse, en si suaves béatilles, avouez qu’il faut venir à Gamehuche pour en goûter. Vive la France !

Il but de nouveau, étranglé par une pointe d’étron, tandis que la jeune Candida le regardait avec un sourire modeste.

La merde était succulente. Je n’en pris pas moins que je n’avais pris de foutre de merluche ; j’en aurais pris davantage si les nègres ne l’avaient remportée. Vinrent alors des vulves farcies, que l’on me dit de génisses, et qui étaient pleines de tous les plus délicats ingrédients du monde selon les lois de la gourmandise. Très blanches, grasse comme de petits bateaux pneumatiques, elles flottaient sur un lit de sauce à la moelle. Les accompagnaient des asperges géantes, qu’Edmonde nous offrit une à une, en feignant des pudeurs. Dévoré de tout cela, les nègres revinrent de la cuisine avec deux plats de cervelle d’oiseaux de mer, qui me firent quelque peur, à première vue, par leur singulière ordonnance ; car chaque cervelle, entre noisette et noix pour la grosseur, était piquée sur un bec, et l’on prenait à la main le petit crâne (parfaitement nettoyé) de l’oiseau pour porter à ses lèvres la bouchée un peu crue sous la friture.

Mangez donc. Rien n’est si riche en phosphore, me dit Montorgueil choqué par ma défiance.

Pourtant, je ne suivis pas son conseil. Les cervelles avaient un arrière-goût d’huile de poisson qui me rebutait, et puis je pensais, non sans un malaise à l’idée d’une si copieuse tuerie, qu’il avait fallu certainement plusieurs centaines de goélands et de mouettes pour suffire aux deux plats. On se demandera pourquoi je n’avais pas pensé qu’il avait fallu quasiment une hécatombe pour garnir le bassin de vulves. La raison sans doute en est que les vulves étaient délicieuses, et nauséabondes les cervelles. Ces dernières, les nègre s’en montraient friands plus que de toute autre chose. Ils n’en laissèrent pas une dans l’un ou l’autre plat.

Quand on eut enlevé les crânes, Viola tira une langue à faire velours aux couilles et me dit que c’était maintenant le dessert. J’avais la tête à des fruits, à des gâteaux, et je me demandai si je m’étais saoulé sans prendre garde ou si je donnais dans les benoîtes illuminations quand je vis Gracchus et Publicola qui trébuchaient sous le faix d’un très grand bassin tout débordant des homards, de langoustes, de crabes, de crevettes. Non sans avoir risqué de laisser aller (c’était peut être comédie, mais nous étions bien dupes), ils le posèrent à la fin sur la table ; rien n’aurait pu si chinoisement couronner le rocher d’argent tiède que ce buisson monstrueux, partout hérissé de pinces , de brosses, d’antennes, de dards. Or la plus grande merveille était qu’à l’intérieur de toutes ces bêtes crustacés la cuisinière eût substitué à la chair salée des choses de confiserie, et en arrachant ou en émiettant les carapaces nous trouvions des crèmes bavaroises, des confitures de cédrat et de rose, des miels de sainfoin, des pâtes de marrons, des beurres de noix, de vanille et de chocolat, des fondants à la praline ou au café, des massepains de pistaches, du sucre en fleurs. Le plaisir de la bouche s’alliait à la bonne surprise et à l’ivresse de détruire. En peu de temps (mais pendant ce temps là j’avais englouti le contenu d’un petit homard, d’un crabe tourteau, de deux étrilles et d’une poignée de salicoques), le bassin fut presque vide. Nous ne parlions que pour annoncer, comme au jeu, ce qui nous était échu. Une vraie gogaille – quand la voix de notre hôte nous fit souvenir d’autres réalités.

Edmonde, avait -il prononcé, si j’étais toi je ne bâfrerais pas tellement et je penserais un peu à mon cul. Tu as beau avoir été mise à l’épreuve du braquemart de Caligula et de toutes les bites qui sont passées au château, cela ne va pas être drôle, sais-tu bien, d’avaler par derrière la grande pine de glace. On a vu des intestins perforés à moins que cela.

Grâce, je t’en prie ! Supplia l’intéressée. Punis-moi d’autre manière, si tu crois que je doive être punie. Ordonne que je sois enculée par tous ceux qui sont ici, par les femmes même, avec tes affreux godemiché. Fais-moi battre. Fais venir le chien. Tout ce que tu voudras plutôt que le glaçon.

Pas de grâce. Que nous soit sur-le-champ apportée la grande pine.

Et à moi , tandis que se levait Gracchus mandé au réfrigérateur :

C’est à vous, mon très cher Balthazar, qui serez l’exécuteur. La vedette vous est due, pour votre premier soir à Gamehuche. Surtout ne ménagez pas cette putain, vous me désobligeriez. J’exagérai tout à l’heure, en disant qu’elle nous est presque indispensable. Il n’y a personne ici qui ne puisse être remplacé du jour au lendemain, si notre plaisir l’exigeait ; et la grosse fille que voilà crèverait par votre faute que je serai charmé, croyez-le, de vous en avoir fourni l’amusement…

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