Le destin de Cassandre – chapitre IV

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Chapitre IV

Nous accostons dans un port grouillant de monde. Je ne sais où nous sommes.

Le Pirate me bouscule pour quitter le bord. Je hâte de toucher la terre ferme. C’est un nouveau départ pour moi, un nouvel espoir d’une vie meilleure.

Les femmes sont voilées, couvertes de la tête aux pieds de tissus sombres, quant aux hommes ils me dévisagent méprisants avec au fond des yeux une lueur de concupiscence. Je suis difficilement le Pirate au milieu de cette foule hostile et j’ai si honte ! Je suis exposée comme les marchandises des étals jalonnant notre parcours. Des effluves montent de petits tas d’épices locales proposées par des femmes sans âge.

Devant nous s’ouvre une grande esplanade, au fond une estrade de bois est installée aux pieds des remparts de la ville. Des hommes et des femmes nus défilent les uns après les autres enchaînés, devant un parterre d’hommes qui applaudit, crie ou hue la présentation de chacun. Ils sont présentés comme on le ferait avec du bétail, le vendeur fait tourner l’esclave sur lui-même, lui ouvre la bouche pour découvrir ses dents, lui écarte les fesses, soupèse les bourses des hommes ou les seins des femmes et pour elles, il fait savoir si elles sont vierges.

Il va me vendre ! Ce n’est pas possible ! Et je ne peux rien faire ! Seulement espérer que mon acheteur ne sera pas trop cruel.

Il me tire par ma laisse. Je suis sur l’estrade à la vue de tous. Je ferme les yeux, sous la honte, d’être ainsi montrée telle une pouliche. Ses mains me dénudent encore un peu plus et m’obligent à me prosterner à ses pieds. Des cris montent, les enchères ont commencées. Je ne veux plus penser. Je veux disparaître, me fondre dans l’air ambiant. Il tire sur mes cheveux cassant ma nuque en arrière pour faire admirer la finesse de mon cou, puis ses doigts ouvrent mes paupières – avec mes yeux bleus, je suis une marchandise rare – les autres esclaves étaient tous de couleur. La laisse se tend, encore une fois, pour me faire mettre debout, du bout de sa chaussure il me fait écarter les jambes pour que tous puisse admirer mon sexe imberbe et d’une main sèche il ouvre mon intimité. Je les vois rire, tous ces acheteurs de malheur, de mes timides essais pour refermer mes jambes et soustraire mon sexe à leur vue. Mon corps est là, mais mon esprit s’évade loin, très loin, de cette horreur, je ne peux plus le supporter.

Un geste brusque me tire de ma torpeur, je tombe aux pieds d’un homme blanc richement vêtu. Il est habillé comme à la cour de France, que peut-il faire ici, dans cet enfer du bout du monde.

Il a entamé une discussion acharnée avec mon ravisseur, le prix qu’il a déboursé est sans doute trop élevé à son goût, mais il semble malgré tout très intéressé par moi. Au bout de quelques minutes ma laisse change de mains. Le Pirate me regarde attentivement comme s’il voulait me faire comprendre qu’il regrette. Sa main flatte ma joue, premier geste de douceur qu’il se permet. Mon obéissance va lui manquer. Je vais finir par croire qu’il ne voulait pas me vendre. Mais alors pourquoi l’a-t-il fait ?

L’homme qui vient de m’acheter me parle, je suis si étonnée de la réaction du Pirate que j’ai du mal à saisir ce qu’il me dit.

« Permettez-moi de me présenter : François, Baron de Tott. Je viens de vous racheter à ce sinistre personnage. Parlez-vous français ? Quel est votre nom ? »

Quel bonheur ! Un français ! Je suis sauvée, je vais revoir ma famille !

« Oh, Monsieur, je vous serais éternellement reconnaissante de votre geste. Je suis bretonne et me prénomme Cassandre. »

Le Baron pose une grande cape sur mes épaules, je me sens tout de suite mieux. Il enlève mon collier et ma chaîne, me pousse vers une chaise à porteurs soutenue par 4 grands noirs. J’embrasse les mains salvatrices durant le court trajet qui nous mène devant une demeure imposante.

Il me soutient jusqu’à la porte qui s’ouvre sur une jeune femme souriante. Après une esquisse de révérence elle s’efface pour nous laisser entrer dans le vestibule.

Le Baron m’observe et me dit

« Je veux tout connaître de toi et de tes mésaventures. Mais tu vas d’abord manger et te reposer.

Je suppose que ces barbares ne t’ont pas laissé un instant de répit. Marie va s’occuper de ton repas et de ton installation dans nos murs. »

Je dois rêver, je n’arrive pas à y croire. J’ai le pressentiment que tous mes tourments ne sont pas derrière moi. Je ne peux expliquer pourquoi, mais c’est ainsi.

La bonne Marie revient m’invitant à la suivre dans la cuisine, je vais faire un vrai repas.

« Je suis sûre que cela fait longtemps que tu n’as pas mangé à ta faim. Ces pirates ne t’ont pas donné une vraie nourriture de chrétien. »

« Oui, vous avez raison. Je ne mangeait que les restes des repas qu’ils me jetaient comme à un chien »

« Ma pauvre petite ! Tu as de la chance Monsieur le Baron est un homme bon et très important ici. Tu seras bien dans cette maison. »

« Mais où sommes-nous ? »

« Comment ? Tu ne le sais pas ? Nous sommes à Constantinople, la capitale de l’Empire d’Orient. Monsieur le Baron a été dépêché par le roi de France auprès du sultan Mustapha III »

Tout en parlant Marie m’a préparé une collation. C’est le plus merveilleux des festins !

Je me goinfre de pain croustillant, de viande séchée et de petites oranges confites. Un pur délice !

«  Si tu as fini ma petite, je vais te conduire à ta chambre, tu as bien gagné le droit de te reposer. »

Marie m’entraine derrière elle vers un couloir aux multiples portes et s’arrête devant l’une d’elle me priant d’y entrer. La chambre est petite mais me parait luxueuse. Depuis des mois, je ne connaîs que la dureté du plancher et la promiscuité des matelots, je vais pouvoir dormir seule dans un lit. Marie m’aide à quitter ma robe et je me glisse dans les draps avec bonheur, le lin rêche me parait le plus doux de tissus comparé aux lattes de bois disjointes du bateau.

Avant de me laisser, Marie, m’énonce le déroulement de ma journée demain.

«  Monsieur de Tott a mandé un médecin français qui t’examinera demain après-midi et ensuite il te recevra dans son cabinet particulier, mais pour l’heure dors aussi longtemps que tu veux. Demain nous nous attèlerons a te rendre présentable. Bonne nuit Cassandre. »

J’ai un peu de mal à trouver le sommeil, le regard du Pirate m’a troublé lors de la vente, il semblait regretter de devoir me laisser à un autre. Les hommes sont parfois si difficiles à comprendre, il n’avait qu’à me garder près de lui s’il me voulait encore. Oui, il y avait de la peine dans son regard peut-être tenait-il à moi, au fond ? Mais je ne vais tout de même pas m’apitoyer sur le sort de ce barbare qui m’a violentée pendant des jours !

5 responses to Le destin de Cassandre – chapitre IV

  1. Pitch said on

    Vous avez raison, la ville a continué longtemps à s’appeler Constantinople

  2. lienua said on

    Après quelques recherches, j’ai pu constater que l’appellation Constantinople restait couramment utlisée à cette époque et même bien plus tard.

  3. Pitch said on

    L’action de ce roman se situe donc au 18e siècle puisque Mustapha III a régné de 1757 à 1774. Mais depuis la prise de Constantinople le 29 mai 1453 ^par Mehmet II, Constantinople est devenue Istambul.

  4. Dragon29 said on

    Aussi bien que Lienua ?

  5. sourire
    Je ne pense pas écrire aussi bien que Vous
    Anne

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